Comment devient-on compositrice ? Quelles sont les différentes étapes de la composition ? Comment le monde qui nous entoure peut-il inspirer des œuvres musicales ? Nous avons posé ces questions à la compositrice française Sophie Lacaze.
de Julie Mooser (31.01.2023)
Homepage: http://sophielacaze.com/
Sophie Lacaze (née en 1963) est une compositrice française. Ses compositions, qui vont des œuvres pour instruments solistes à la musique de chambre et d’orchestre, en passant par des opéras et des œuvres avec bande, sont jouées régulièrement dans le monde entier.
Un matin, je devais avoir 14 ou 15 ans, je me suis réveillée en ayant la certitude que je deviendrai compositrice. Idée étrange, car si j'avais toujours été attirée par le monde sonore et aimais la musique, j’avais rarement l’occasion d’aller au concert, je ne connaissais pas de musiciens professionnels, encore moins de compositeurs... Et puis les œuvres que je jouais étaient des œuvres de compositeurs, pas de compositrices, et bien sûr morts depuis un bon moment puisqu’à l’époque on ne faisait pas de musique contemporaine dans les conservatoires.
Mais j'ai décidé de devenir compositrice à ce moment là, sans me poser de question... c’est ce qu’on appelle une vocation je crois...
Et puis j’ai fait des études d’ingénieur... Et ce n‘est qu‘à 26 ans, donc bien plus tard, que j’ai pu commencer des études de composition. Et là, j’ai compris que je ne m’étais pas trompée... la musique est devenue ma vie.
Edison disait : “le génie, c’est 1% d’inspiration et 99% de transpiration“. Je pense que c’est la même chose pour la création. Tout le monde a des idées, et tout le monde peut avoir de bonnes idées. Mais il faut ensuite les travailler, les mettre en forme, les organiser, les développer (ou pas), etc. Et sans technique, sans savoir-faire, il est impossible de créer une œuvre de qualité.
Pour la composition musicale, on peut apprendre des techniques de base en cours, avec un ou des professeurs. C’est à mon avis essentiel pour bien débuter. Il faut aussi écouter, analyser, travailler, rechercher, lire... beaucoup...
Aucun professeur n’a influencé mon travail, certains d’entre eux semblaient d’ailleurs un peu désemparés devant mes choix artistiques. Mais l’un d’entre eux, Antoine Tisné, a tout de suite compris quelles étaient mes préoccupations et a saisi mon intérêt pour le timbre. Il m’a conseillé de lire tel traité d’orchestration, d’analyser telle ou telle partition, de composer pour tel ou tel instrument, et m’a accompagnée dans mes premières recherches sonores.
Je pense que cela est très personnel et dépend de chacun. En ce qui me concerne, je commence par chercher ce qui sera la source de mon inspiration. Je n’écris jamais de la musique à partir de rien, je ne sais pas faire cela. Donc ce sera un poème, un tableau, une image, un son, une légende, ...
Cela dépend de l’effectif instrumental et de la durée de la pièce, mais je suis de toute façon très lente. Et si j’écris peu de notes (ma musique est plutôt minimaliste), tout est réfléchi et pensé très précisément. Hauteurs, rythmes/durées, intensités et timbres, je traite les 4 paramètres de la musique de manière égale et avec la même rigueur. Et cela prend du temps, d’autant plus que j’essaye régulièrement de nouvelles combinaisons de timbres qu’il me faut tester avec les interprètes avant de les mettre sur la partition.
Oui tout à fait... l’orchestre ! Avec sa palette sonore absolument magnifique et si riche, c’est un vrai bonheur d’écrire pour orchestre symphonique. Malheureusement les occasions d’écrire pour orchestre sont plutôt rares pour un compositeur d’aujourd’hui.
Ingénieur un jour, ingénieur toujours ! J’ai un esprit très cartésien et ai gardé le besoin de tout rationnaliser. Cela ne s’entend pas à l’écoute, mais ma musique est très mathématique. Suite de Fibonacci, nombre d’or, symétries, homothéties, ..., font partie des bases de ma technique compositionnelle.
Je pense que ma carrière a vraiment démarré en 2009, quand j’ai reçu le Grand Prix Lycéen des Compositeurs. Jusque là, j’étais totalement inconnue du milieu de la musique contemporaine en France. Mais ce prix a changé la donne.
J’ai découvert la culture des Aborigènes en 1998, lors de mon 1er séjour en Australie. Les Aborigènes sont très proches de la nature, ils sont à son service et organisent leur vie en fonction de ses cycles. Ce séjour m’a fait prendre conscience d’un certain nombre de choses qui sont rapidement devenues essentielles pour moi. L’écologie en est une, même si j’étais déjà sensibilisée à l’environnement, et certaines de mes oeuvres sont volontairement tournées vers l’écologie, comme Voices of Australia par exemple. Mais j’ai aussi été attirée par la musique des Aborigènes, leurs danses et cérémonies rituelles, qui m’ont rappelé l’essence même de l’art musical, ses origines, son épurement premier. Tout cela m’est apparu fondamental, essentiel. Ma musique devait retourner aux origines de la musique, à ce pourquoi cet art avait été créé – le rituel, l’incantation, la danse. Et l’épure. C’est ce que je recherche, encore aujourd’hui.
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Afficher le contenu YouTubePour un artiste, il est essentiel de transmettre. J’ai d’ailleurs beaucoup enseigné, notamment à l’université, la composition bien sûr, l’orchestration, mais aussi l’histoire de la musique et l’interprétation de la musique contemporaine. Et je me suis aperçue du fait qu’en arrivant à la fac, trop peu de musiciens ou futurs musiciens avaient déjà joué des oeuvres contemporaines. C’est pourquoi il me semble important d’aborder la musique contemporaine dès le plus jeune âge !
Il n’y a pas une musique contemporaine mais des musiques contemporaines, avec des styles et des esthétiques qui peuvent être parfois très différents selon les compositeurs et compositrices qui les écrivent. Souvent, leurs œuvres peuvent dérouter car les harmonies ou les sonorités utilisées sont inhabituelles. C’était la même chose à toutes les époques... Au début du XIXe siècle, la musique de Beethoven n’était pas toujours comprise et appréciée du public, ni même des musiciens qui devaient jouer ses derniers quatuors à cordes !
Des oreilles “neuves“, pas encore habituées à la musique classique ni aux musiques stéréotypées que l’on peut entendre un peu partout, comme les oreilles des enfants par exemple, peuvent immédiatement apprécier une oeuvre contemporaine. D’une manière générale, quel que soit le public, il est souhaitable de donner quelques clés d’écoutes avant le concert, car cela facilite la perception et la compréhension de ces nouveaux langages musicaux. La musique contemporaine est accessible à tous quand elle est de qualité, et quand on l’explique…
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Afficher le contenu YouTubeLa création d’une œuvre est toujours un moment important et émouvant pour un compositeur. Mais c’est vrai que lorsque c’est une pièce pour orchestre, et que c’est un orchestre merveilleux comme le BBC SO qui vous joue, c’est un moment d’émotion extrêmement intense et un grand bonheur.
Je commence à écrire un opéra de chambre, sur un livret d’Alain Carré, et qui sera mis en scène par Pierre Thirion-Vallet. C’est un projet qui me tient beaucoup à coeur, avec sa thématique, en phase avec mes préoccupations environnementales, et une équipe d‘artistes absolument formidable.
Ensuite je composerai une œuvre pour 10 musiciens (quintette à vent + quintette à cordes) et deux pièces pour de grands élèves d’un conservatoire. Mon année 2023 est bien remplie.
Je lui dirais que c’est un métier difficile, mais qui apporte beaucoup de joie. Et que s’il ou elle souhaite vraiment le faire, il ne faut pas hésiter !
Ça, c’est une question plus que difficile, il y a tellement d’œuvres magnifiques... Mais je vais peut-être reprendre une des œuvres qui figure sur le Voyager Golden Record que les Américains ont mis dans leurs vaisseaux spatiaux Voyager I et II : les Prélude et Fugue en do, No.1, du 2e livre du Clavier bien Tempéré de Jean-Sébastien Bach interprété par Glenn Gould. C’est sublime.
Redactrice: Julie Mooser